Préambule : J’ai le plaisir d’accueillir la réflexion de Céline Deheuvels, une amie lectrice (et rédactrice web de métier) au sujet des œuvres littéraires controversées à cause des stéréotypes qu’elles véhiculent. Merci à elle pour cet article ! Que vous soyez ou non de son avis, partagez-nous vos arguments en commentaires !




Septembre 2021, au Canada, dans une école de l’Ontario. Des livres sont volontairement brûlés. Les bandes dessinées Tintin, Lucky Luke et Astérix partent en fumée devant les élèves.
Pourquoi ? Les adultes du groupe scolaire estiment que ces bandes dessinées véhiculent des stéréotypes négatifs sur les habitants des Premières Nations du Canada. Or, ce pays se veut inclusif. À ce titre, l’autodafé est la solution retenue par Suzy Kies, coprésidente de la Commission des peuples autochtones du Parti libéral du Canada.


Des éléments considérés comme caricaturaux, voire discriminatoires

Penchons-nous sur ce qui a pu provoquer cette volonté de nettoyage par le feu. Les personnes à l’origine de cet acte appartiennent au mouvement « woke ». Né aux États-Unis, le « wokisme » dénonce les discriminations et injustices sociales envers les minorités. Contesté et critiqué, ce mouvement est difficile à définir. Il traque toutes les formes d’inégalités invisibles de la société. Son objectif consiste à signaler et à effacer une partie de l’histoire jugée inadmissible.


Tintin, Lucky Luke et Astérix, des bandes dessinées pour enfants, ont donc été réduits en cendre. Choquant, non ? L’album Tintin en Amérique mentionne des Peaux-Rouges. Ce qui a causé sa perte. Les auteurs de cette purification estiment que la bande dessinée contient des informations erronées et brosse une image négative des peuples autochtones.


La conquête de l’Ouest de Lucky Luke a déclenché une volonté de censure à cause d’un seul mot. La conquête. Ce nom serait-il un terme dangereux ? En outre, le pouvoir est aux mains des Blancs pendant que les Indiens endossent toujours le rôle de méchants. Injuste pour le mouvement woke.

Une femme en mini-jupe et voilà Astérix et les Indiens sur le bûcher. Cette bande dessinée met en scène une Indienne courtement vêtue jugée trop aguicheuse. Cette autochtone véhicule l’image de la femme facile. Cela a conduit à la destruction de la bande dessinée.


Extrait de la BD « Le papyrus de César »

Des réactions vives et controversées

Cette affaire a créé un malaise au Canada, surtout dans la province francophone du Québec. Suzy Kies a d’ailleurs démissionné.


Les hommes politiques sont restés ambigus. Je partage l’avis d’Yves-François Blanchet qui dit : « on ne prévient pas le mal en effaçant l’histoire. »


Certains auteurs de bandes dessinées québécois ont soutenu leurs collègues créateurs. Je pense que comme Marcel Levasseur, « le but de la bande dessinée est de divertir avant tout, ce n’est pas de faire un cours théorique. »


Les bibliothécaires scolaires du Québec ont fait part de leur opinion à ce sujet. Pour eux, il faut éviter la censure, car des enseignants peuvent sélectionner des livres controversés pour les étudier comme contre-exemples.


Cet autodafé me laisse vraiment perplexe. On pourrait comparer cet événement avec les autodafés de 1933 en Allemagne. Des conséquences positives peuvent-elles découler de choix de boucs émissaires et de destructions de livres ? Certainement pas ! D’ailleurs, Heinrich Heine a écrit dans sa pièce de théâtre Almansor : « Dort, wo man Bücher verbrennt, verbrennt man am Ende auch Menschen ». Cela signifie « Là où on brûle des livres, on finit aussi par brûler des hommes ».



La liberté d’expression et l’importance du patrimoine littéraire

Il ne faut pas perdre de vue qu’un écrivain rédige et diffuse son livre dans un contexte précis. La société évolue alors que les œuvres littéraires comme les bandes dessinées restent figées.
N’oublions pas que les albums de Tintin ont été écrits entre 1929 et 1983. Par la suite, Hergé a apporté des modifications et des corrections afin de se conformer avec le politiquement correct.


Lucky Luke et Astérix ont également fait l’objet de polémiques. Pourquoi ? Pour un prétendu racisme ou machisme. En maniant la plaisanterie et l’ironie, les créateurs d’Astérix et de Lucky Luke jouent sur les stéréotypes. Les histoires sont donc à prendre au second degré. Afin que ces bandes dessinées soient mieux accueillies, les auteurs et les éditeurs ont apporté des changements au fil du temps.


Certaines controverses semblent aberrantes, voire exagérées. D’autres viennent d’un malentendu. Un manque de mise en contexte par rapport à la situation génère des quiproquos. Parfois, l’humour de l’époque est mal perçu.


Le lecteur doit s’adapter à l’œuvre, toujours penser aux événements historiques pour éviter les mauvaises interprétations. Supprimer des livres parce qu’ils pourraient choquer, c’est vouloir protéger les personnes à outrance. Et cela, au détriment de la liberté d’expression et d’un patrimoine culturel commun. Or, on ne peut pas se préserver de tout et contre tout. Chaque lecteur doit s’éveiller à la prise de recul, à l’analyse littéraire et à la contextualisation.


Une bande dessinée « ancienne » divertit et apporte de nombreux éléments historiques. Hergé, Goscinny et Morris représentent des monuments du neuvième art. Avec eux, les adultes transmettent le plaisir de lire à leurs enfants et construisent une culture commune. Les faire disparaître serait une perte de patrimoine littéraire. Une œuvre controversée constitue une mine d’or pour travailler son esprit critique.

Posséder un esprit affûté donne une grande liberté, ne trouvez-vous pas ? La possibilité de dévorer tout type d’ouvrage reste pour moi fondamentale. Qu’en pensez-vous ?

Céline Deheuvels.