Le 2 juin 2021, la sortie d’une réédition critique de « Mein Kampf » par les éditions Fayard a fait couler beaucoup d’encre. Beaucoup de personnes ont alors rappelé, à raison, que ce livre est à l’origine de l’une des plus grandes tragédies de l’Histoire de l’humanité. Et qu’à ce titre, il devrait être oublié, voire complètement censuré. Je pense au contraire qu’une telle édition est une chance pour notre patrimoine culturel et qu’il serait dangereux de vouloir régler ce problème en le camouflant.


L’intérêt d’une édition critique


Mein Kampf est un texte difficile à lire. Sa complexité n’est pourtant pas due à une plume talentueuse, mais à un esprit qui peine à structurer ses idées. C’est aussi un texte écrit dans un contexte historique particulier, déjà bien lointain du nôtre. Hitler est aussi connu pour construire sa rhétorique sur l’énonciation en cascade de faits marquants, choquants, et bien évidemment invérifiables. Il en résulte un lecteur bien souvent désorienté face à un discours violent et conçu pour convaincre. Cette technique est, soit dit en passant, souvent utilisée par certains milieux complotistes et militants. Ce texte doit absolument être expliqué parce qu’il pose toutes les fondations d’une idéologie raciste et profondément criminelle qu’il convient de déconstruire intelligemment.

L’intérêt d’une telle édition est donc d’accompagner le lecteur pour lui permettre de prendre le recul nécessaire. Au contraire d’autres éditions, Fayard a plus misé sur un travail de transcription que de traduction. Le but ? Mettre en lumière la médiocrité littéraire de son auteur. C’est ainsi que les répétitions, incohérences et autres fautes élémentaires de langage sont exposées sans être corrigées. Pas de Photoshop pour Hitler ! « Mein Kampf : historiciser le mal » impressionne par ses nombreuses introductions et ses 3000 notes de bas de page. Les 2/3 de l’ouvrage sont ainsi constitués du travail d’historiens chevronnés et dirigés par Florent Brayard.

Un texte en circulation depuis 1934


photo livre mein kampf

On pense souvent à tort que la vente de Mein Kampf fut interdite dès la chute du IIIe Reich. C’est archi faux et vous serez sans doute très heureux d’apprendre que les droits d’auteur appartenaient jusqu’en 2016 aux Éditions Nouvelles latines, une maison d’édition se situant dans la mouvance d’extrême droite. Vous me direz « chacun ses idées », n’empêche que celle-ci en vend 5000 exemplaires par an en France et n’a jamais vu l’utilité de recontextualiser l’œuvre ou l’idéologie présente. Seul un avertissement de 8 pages en début d’ouvrage fut imposé par la Cour d’appel en 1979. Insuffisant, vous ne trouvez pas ? Par ailleurs, il est très facile de trouver ce livre en quelques clics sur internet et gratuitement en plus ! J’ai d’ailleurs pu consulter certaines versions agrémentées d’ajouts divers et d’envolées lyriques assez impressionnantes sur la beauté incontestée de l’idéologie hitlérienne. Alarmant, n’est-ce pas ? Le 31 décembre 2020, « Mein Kampf » est tombé dans le domaine public, Fayard a donc simplement décidé de briser un monopole commercial et idéologique ayant assez duré.

Une réédition aux conditions particulières


Fayard n’est pas une maison de charité, mais une entreprise. On ne peut donc ignorer que cette sortie littéraire soit une belle occasion pour se mettre en avant. Toutefois, il est à noter que la maison d’édition reverse la totalité des droits d’auteur à la fondation Auschwitz-Birkenau. De plus, 1000 exemplaires ont été mis de côté pour être distribués gratuitement aux bibliothèques. Ce don est mis en place pour faciliter l’accès et l’usage aux professeurs de lycées et d’universités. Comme pour les autres versions de Mein Kampf, cette version critique n’est pas disponible en libre-service, ceci afin d’éviter qu’un œil non averti ne tombe dessus. Il n’est donc pas possible d’en feuilleter le contenu pour se faire une idée. Le commander auprès de son libraire est le seul moyen d’y avoir accès !

L’importance du devoir de mémoire


« Celui qui ne sait pas d’où il vient ne peut savoir où il va, car il ne sait pas où il est. »

Otto Von Bismarck.

Cette citation reflète parfaitement ce en quoi je crois. Avouez toutefois que ce choix est plutôt ironique si l’on pense avec quel enthousiasme Hitler s’est inspiré de Bismarck pour légitimer sa politique nauséabonde. Pour revenir à nos moutons, je ne crois pas que nous souvenir d’une tragédie collective nous en immunise définitivement. Cependant, je pense que le devoir de mémoire, s’il est bien fait, a le pouvoir de nous garder éveillés, de sorte que nous puissions réagir à temps si nous sentons que l’Histoire se répète. Ce texte, aussi sombre soit-il, est la preuve d’un événement qui n’aurait jamais dû se produire. Il nous permet de ne pas oublier alors même que les dernières personnes témoins de ces atrocités tirent doucement leur révérence.

Cette sortie littéraire fait polémique pour des raisons que je comprends. Je reste cependant persuadée que pousser la poussière sous le sofa et fermer les yeux ne la fera jamais disparaître. Et vous, qu’en pensez-vous ?