Dans sa dernière saga, Timothée de Fombelle raconte l’histoire d’une jeune africaine, partie à la recherche de son frère, au temps de la traite négrière. Très bien accueilli par la critique française, ce récit ne sera pourtant pas édité aux États-Unis et en Angleterre et cela pour cause d’ « appropriation culturelle ». J’ai trouvé cette décision intéressante à décrypter, je vous donne donc mon avis (tout personnel / valable à l’instant T) et vous invite à en débattre respectueusement dans les commentaires.
« L’appropriation culturelle » : KEZAKO ?
Ce concept aux frontières assez floues, est défini par Wikipédia comme suit :
« La définition du concept récent d’appropriation culturelle est sujette à controverse. Ce terme originellement désignait uniquement l’utilisation d’éléments d’une culture par les membres d’une autre culture. (Petit note perso’ : le pillage occidental d’œuvres d’art maliennes lorsque le pays a pris son indépendance en 1960).
Avec le temps et les développements universitaires aux États-Unis, ce terme acquiert une connotation négative, populaire dans le paysage culturel américain, et qui tend à s’importer dans les pays francophones. L’appropriation culturelle se réfère donc parfois aujourd’hui à l’idée que l’utilisation d’éléments d’une culture par les membres d’une culture jugée « dominante » serait intrinsèquement irrespectueuse et constituerait une forme d’oppression et de spoliation. »
Partant de là, il est intéressant de se poser la question suivante : un.e auteur.e blanc.he est-il/elle légitime pour écrire du point de vue d’une personne noire ?
Je comprends que cela puisse gêner. Étant malade chronique, tous les jours est un défi et personne ne peut réellement comprendre ce que c’est de vivre dans mon corps. Je suis beaucoup plus exigeante à l’égard d’un.e auteur.e choisissant de représenter le handicap (car oui, la maladie chronique en est un) dans son roman. Bien souvent, je me confronte à une vision romantique de la maladie alors qu’en vérité, c’est tout sauf ça.
Je pense qu’il s’agit du même problème concernant la représentation des personnes noires dans l’art. Je ne nie pas qu’en temps que personne blanche, je suis incapable de savoir ce que ça fait d’être noir.e dans tel ou tel pays, à telle ou telle époque. Je ne sais pas non plus ce que cela fait d’être consciente d’être afro-descendante. Mais je peux imaginer, essayer en tout cas. Je peux toucher du doigt le fait que ce passé est extrêmement lourd à porter, que le racisme est toujours présent et fait écho à des temps bien sombres.
Je suis convaincue qu’on peut ne pas être concerné.e directement par une cause, tout en souhaitant que celle-ci avance.
Je connais peu T. de Fombelle, mais il semble que son projet soit fortement documenté. Pour éviter de tomber dans les clichés pouvant desservir son récit et l’horreur qu’il décrit ; il a voyagé, a consulté des archives et a beaucoup lu sur le sujet. Il a aussi remarqué que peu de livres en littérature jeunesse parlait de la traite des personnes noires, c’est justement pour cela qu’il a choisit ce sujet pour sa saga.
Endosser d’autres histoires que la sienne, n’est ce pas le but de la littérature ?
« Qu’un homme blanc puisse endosser le rôle d’une petite fille noire, qu’un écrivain puisse raconter l’histoire de la traite négrière du point de vue des esclaves même si cette histoire n’est évidemment pas la sienne, c’est pour moi la définition même de la littérature… » T. de Fombelle
Cependant, je pense qu’il peut s’y risquer à cet exercice seulement si :
L’auteur.e se documente sérieusement sur le sujet :
Le but est d’éviter les clichés, être au plus près des faits et de l’éventuel ressenti d’un personnage issu de tel milieu ou de telle histoire. Il est facile de se documenter aujourd’hui : internet, revues spécialisées, centres de recherches, bibliothèques et musées. Recueillir des témoignages est aussi à mon sens un très bon moyen de toucher du doigt une réalité.
L’auteur.e doit savoir d’où il/elle part :
Il me semble central, pour écrire, de se connaître pour savoir d’où l’on part et où l’on souhaite aller.
Par exemple : je suis jeune, blanche et je n’ai pas une super santé. Je ne possède pas beaucoup d’argent mais je ne peux pas dire être en manque de quelque chose. Partant de là, je dois prendre conscience de mes difficultés futures si je souhaite écrire du point de vue d’un garçon tibétain de 8 ans. Je n’ai aucune idée des réalités de vie qui sont les siennes. Sans prendre en compte cela, je manque de respect aux personnes qui pourront se reconnaître dans ce récit. Et sans m’en rendre compte, je peux même continuer de véhiculer des stéréotypes réducteurs.
L’auteur.e est au clair avec ses objectifs :
Je vois parfois des personnages qui perpétuent des schémas de pensées ignobles (ex : culture du viol, banalisation du racisme, des discriminations, des violences conjugales ou médicales,etc.) sans que cela n’apporte rien à l’histoire. En clair, l’auteur.e n’a pas à ajouter pour « faire joli » un personnage raciste si son but n’est pas de déconstruire ce qui justifie le racisme.
J’ai aussi l’impression, même si c’est rare, que certain.e.s auteur.e.s choisissent de traiter tel sujet parce que c’est à la mode. Leur but n’est pas de délivrer un message pour faire bouger les choses, leur but est de toucher une cible d’acheteurs et de vendre. Cette pratique est selon moi, très opportuniste et me pousse à bannir ces auteur.es de mes wishlists.
La problématique d’appropriation culturelle dans l’art : de la censure ?
Être non publié.e pour cause d’ « appropriation culturelle » s’apparente pour moi à de la censure. Parce que si nous ne pouvons plus écrire sur un sujet sans être directement concerné.es par celui-ci ; alors dans ce cas là, nous n’écrivons plus rien. Il n’est donc plus possible pour un homme d’écrire sur une femme et inversement. Nous laissons uniquement le sujet de l’handicap aux personnes handicapé.es. Les auteur.es allié.es lgbtq+ ne peuvent plus défendre ces causes à l’aide de leurs personnages puisqu’ils ne vivent pas de l’intérieur les problématiques auxquelles ces personnes font face dans la réalité. On arrête aussi pour les mêmes raisons, d’écrire des biographies. En effet, qui sommes-nous pour écrire à la place des autres ?
Bref, vous l’aurez compris, je réponds oui à la question posée au début de cet article. Un.e auteur.e peut effectivement écrire du point de vue d’une personne noire et plus largement issue de toutes les diversités. Il/elle se doit d’être sérieux dans l’approche du sujet choisit, attentif à ses motivations et de bien se connaître.
Invoquer « l’appropriation culturelle » pour refuser de publier une oeuvre, est à mon sens une erreur. En le faisant, nous détruisons pour moi le noyau de la littérature : le fait d’écrire pour déplacer son lecteur et le fait de lire pour avancer vers nous même et le monde.
Je n’ai pas commencé le dernier livre de Timothée de Fombelle, acheté les yeux fermés car en dépit de mes 68 ans je suis toujours séduite par le style, les histoires écrites par cet auteur Vango est un de mes livres de chevet, j’y trouve toujours une respiration à coté de notre monde réel, je suis sidérée qu’une censure pareille puisse concerner T de Fombelle d’où vient la décision? je vais le lire cet après midi pour me faire une idée. je suis contre toute notion de censure où cela doit commencer où cela doit finir?…Liberté chérie.
En fait la décision vient des maisons d’édition qui représentent les livres de T. de Fombelle. Etant donné le contexte actuel, les ME ont peur de se voir intenter des procès de partout… elles jouent donc la prudence, mais oui pour moi cela s’apparente à de la censure. Merci pour votre visite 🙂 !
Le sujet me semble très complexe et peut susciter de nombreuses interrogations, ce que tu fais très bien.
J’ajouterai : les Eglises chrétiennes font-elles de l’appropriation culturelle lorsqu’elles s’appuient sur la Bible juive? Que dire du Coran? Du bouddhisme (qui s’appuie sur une culture hindouiste)?
Que penser de la mondialisation et des nombreux métissages (notamment musicaux)? Que dire d’un film comme Django, de Tarantino, qui dénonce la société esclavagiste en faisant d’un affranchi le héros de son histoire? Et que dire de Hugo, Maupassant, Balzac et Zola, et de tou.te.s les autres, lorsqu’illes évoquent les situations sociales dramatiques des classes populaires, alors que ces auteur.e.s appartiennent de fait à la classe bourgeoise?
Pour ma part, je ne rejette pas le concept d’appropriation culturelle, parce qu’il est de trop nombreux cas où les peuples ont été spoliés de leurs biens. Parce que les sociétés esclavagistes n’ont jamais été condamnées autrement que moralement, et qu’elles ont une lourde dette envers les populations qu’elles ont exploitées. Parce que les musées détiennent encore de trop nombreuses œuvres qui ne devraient pas s’y trouver. Etc.
Ta réflexion me semble indispensable, et je ne sais pas quand nous aurons fait le tour de la question, mais il me semble nécessaire d’y réfléchir. Et ensemble, c’est-à-dire avec les populations directement concernées. Dans un dialogue qui soit vraiment respectueux de toutes les difficultés qui seront évoquées, et en prenant le temps d’avancer ensemble.
J’espère que tes lecteurs et tes lectrices pourront apporter des éléments de réflexion intéressants à ce sujet, et j’espère surtout qu’il s’y trouvera des personnes qui se sentent spoliées par cette dynamique de réappropriation culturelle, de manière à enrichir notre réflexion commune.
Bravo!
Un grand merci pour l’enrichissement que tu nous donnes concernant cette épineuse question et merci pour ta visite !